Quand les sols forestiers réagissent au réchauffement : que nous dit la science?

Quand les sols forestiers réagissent au réchauffement : que nous dit la science?

Une étude co-écrite par Sharlène Laberge, publiée dans Discover Soil, le 11 mars 2025

Alors que les forêts sont souvent présentées comme des puits de carbone précieux pour atténuer les effets des changements climatiques, une question demeure peu explorée : comment leurs sols, composante souvent oubliée des écosystèmes forestiers, réagissent-ils à la hausse des températures? C’est ce qu’a voulu comprendre une équipe de chercheur·e·s de l’Université Téluq, dont Sharlène Laberge, responsable des projets scientifiques et de l’innovation chez Akène, dans une étude récemment publiée dans la revue Discover Soil.

Intitulée “Soil CO₂ and CH₄ response to experimental warming under various tree species compositions in a temperate hardwood forest”, l’étude explore la manière dont le réchauffement du sol influence deux gaz à effet de serre, soit le dioxyde de carbone (CO₂) et le méthane (CH₄), et ce, en fonction de la composition en espèces. 


Objectif : simuler le réchauffement climatique en forêt tempérée

L’étude a été menée à la Station de biologie des Laurentides (Saint-Hippolyte, Québec), dans une érablière de la forêt tempérée décidue à sa limite nordique. Grâce à un dispositif expérimental composé de câbles chauffants, le sol a été réchauffé artificiellement de 2 °C, afin de simuler un climat plus chaud. 

Ces parcelles représentaient trois types de peuplements :

  • des forêts mixtes (avec une forte présence de sapin baumier),
  • des forêts de feuillus,
  • et des forêts de feuillus à dominance de hêtre d’Amérique.

Pendant la période sans neige de 2021 et 2022 (mai à novembre), l’équipe a mesuré le flux de CO₂ (dit respiration du sol) et le flux CH4. La respiration du sol est à la fois composée de la respiration racinaire et de la respiration des organismes qui décomposent la matière organique.

Résultats : un effet de seuil surprenant

Deux grands constats émergent de cette expérience :

1. Le CO₂ : une réponse variable selon la température et les types de forêts

Le réchauffement du sol a d’abord entraîné une hausse des émissions de CO₂ (respiration du sol), mais seulement jusqu’à une température seuil d’environ 15 °C. Au-delà de cette température, l’émission de CO₂ ralentissait ou atteignait un plateau.

Dans les forêts dominées par le hêtre, ce seuil s’est manifesté encore plus tôt, autour de 10 à 12 °C, ce qui suggère une sensibilité particulière de ces peuplements à la chaleur. L’explication proposée est reliée au comportement dit “isohydrique” du hêtre en période de stress hydrique. Pour faire court, cela signifie que les pores sur ses feuilles, appelés stomates, se ferment en période de sécheresse pour limiter la perte en eau, ce qui a pour effet de limiter les échanges gazeux avec l’extérieur. Pour compenser la baisse de CO2 absorbé par les feuilles, il y a un transport du CO2 des racines vers les feuilles, ce qui limite la respiration racinaire et donc la respiration du sol. 

2. Le CH4 : un puits stable malgré la chaleur

Contrairement au CO₂, le CH₄ n’a pas été affecté par le réchauffement. Les sols sont restés un puit net de méthane, indépendamment de la température, de l’humidité du sol ou du type de forêt. Cela confirme que, du moins à court terme, les sols forestiers bien drainés continuent à jouer un rôle important dans la captation de ce puissant gaz à effet de serre.

Ce que cela signifie pour la gestion des forêts

L’étude révèle que la composition en essences forestières influence fortement la réponse des sols au réchauffement, notamment en ce qui concerne les émissions de CO₂. Cela signifie que le choix des espèces forestières pourrait devenir un levier stratégique pour atténuer les effets du changement climatique, ou du moins en limiter certaines rétroactions.

Par exemple, des forêts avec une forte proportion de hêtres pourraient être plus vulnérables aux sécheresses estivales induites par le réchauffement, même si elles sont habituellement associées à des conditions plus humides en raison du couvert forestier dense.

Une étude essentielle pour comprendre les rétroactions climatiques

Alors que l’on discute de plus en plus de la “nature comme solution climatique”, cette étude rappelle que les effets du réchauffement sur les écosystèmes sont complexes et parfois contre-intuitifs. Les sols forestiers ne réagissent pas uniformément à la hausse des températures, et leur rôle dans le bilan carbone de nos forêts pourrait évoluer de manière inattendue.

L’équipe recommande d’approfondir ces recherches sur le long terme, en particulier sur les effets combinés du réchauffement et de la sécheresse sur le comportement des sols.

Pour aller plus loin

👉 L’article scientifique complet est disponible en libre accès ici :

Lire l’article dans Discover Soil

Un immense bravo à Sharlène et à toute l’équipe de recherche pour cette contribution précieuse à la compréhension des sols forestiers en contexte de changement climatique!


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